Jeunes installés, le temps est venu de dégommer les clichés !
Clichés sur les agriculteurs
Cliché numéro 1 : Ton métier n’est pas innovant, c’est un métier de « bouseux »
Marc vers l’Agriculture de conservation : C’était peut-être vrai du temps de nos grands-parents, qui croulaient sous le travail, sortaient peu de leurs exploitations, étaient « en retard » sur le reste de la société. Aujourd’hui, cela existe encore, mais c’est devenu rare, même si dans chaque saison de L’Amour est dans le pré, il y a un agriculteur qui représente ce cliché ! Dans mes vidéos, et dans mes vlogs « 48 h dans la peau d’un jeune agriculteur », ce n’est pas
du tout l’image que je donne !
Hervé Le Prince, dirigeant de l’agence de communication NewSens : Il y a comme un déni de modernité à l’agriculture, un déni de technologie dans le regard porté par la Société sur « ceux qui nous nourrissent ». C’est assez paradoxal, parce que ce jugement est véhiculé par des gens qui ont un smartphone à la main. Pour eux, « c’était mieux avant », quand l’agriculture était plus « proche de la nature » et que les éleveurs restaient dormir dans les étables. La réalité agricole est à l’opposé de ce cliché : le secteur est très innovant, et vit en ce moment des mutations rapides, sur le plan technologique et scientifique avec, par exemple, l’agriculture régénérative. La meilleure preuve que ce secteur a un avenir dans la tech et le digital, c’est l’école Hectar, fondée récemment par Xavier Niel.
Cliché numéro 2 : Tu n’as pas un haut niveau
de formation
Marc : J’ai un BTS !
Hervé : C’est une image d’il y a 50 ans. Mais l’époque est révolue, où l’on pouvait apprendre le métier sur le tas, au contact de ses parents. L’agriculteur aujourd’hui est un polytechnicien, au sens littéral : il dispose de multiples compétences, techniques, économiques, managériales… Selon les données du dernier recensement général agricole, en 2020, 83 % des agriculteurs des moins de 40 ans ont
au moins le baccalauréat (ils étaient 74 % en 2010). Le taux de diplômés du supérieur est également en augmentation dans cette population des moins de 40 ans : 43 % contre 34 % en 2010.
Cliché numéro 3 : Tu es pollueur
Marc : Il se peut que mon activité génère une pollution chimique, mais toujours dans les limites légales, à des doses non dangereuses. Nous avons des outils qui nous permettent d’être extrêmement précis dans les doses que nous épandons et je suis souvent en dessous des seuils. Oui, nous utilisons des antifongiques, des insecticides, mais les citoyens aussi, pour se soigner ou pour traiter leurs animaux de compagnie. Sur le plan des gaz à effet de serre, je peux dire que j’agis dans le bon sens avec mes pratiques qui tendent vers l’agriculture de conservation : chez moi,
un hectare de maïs stocke 3,5 tonnes de carbone !
Hervé : Il n’existe aucun secteur de production, quel qu’il soit, qui n’a pas d’externalité négative sur l’environnement. Curieusement, on en parle moins pour la construction automobile, les jeux vidéo, la mode…, que pour l’agriculture, qui est pourtant une activité plus « essentielle »
à l’Humanité. En plus, depuis quelques années, le secteur agricole a pris conscience de ces externalités négatives
et évolue pour les réduire. Mais il faut aussi lui donner
du temps. Le retour sur investissement en agriculture est plus long que dans d’autres secteurs de production.
Hervé Le Prince
• Dirigeant fondateur de l’agence de communication NewSens, à Rennes, il est particulièrement engagé sur les thématiques agroalimentaires et agricoles, avec un fort tropisme breton !
Cliché numéro 4 : Tu ne sors jamais de chez toi, tu ne prends jamais de vacances
Marc : Je suis en production céréalière. En dehors de quelques périodes de travaux où j’ai des « coups de bourre », j’ai du temps, je sors et je prends des vacances. Pour les collègues éleveurs, c’est sans doute plus difficile.
Hervé : Il y a certainement
une question de génération. La nouvelle génération d’agriculteurs prend davantage de loisirs et de vacances. Souvent, ils me disent qu’ils sont libres de faire ce qu’ils veulent : courir et s’entraîner par exemple, car certains sont de grands sportifs, ou s’engager, prendre des mandats extérieurs.
Et ils n’hésitent plus à prendre
des vacances !
Cliché numéro 5 : Tu es forcément un homme,
fils d’agriculteur
Marc : Là, c’est mon cas ! C’est un métier de passion,
et je pense quand même que la passion se transmet
via l’expérience familiale. En production céréalière,
c’est assez rare de s’installer si l’on n’est pas « du milieu ». C’est différent en élevage. Et c’est aussi dans l’élevage
que l’on retrouve plus de femmes…
Hervé : Ce cliché de l’agriculteur masculin dont la charrue « viole la terre » a été utilisé de façon caricaturale par une militante écologiste. En réalité, les femmes sont bien présentes en agriculture : selon le dernier RGA, elles représentent 26 % des chefs d’exploitations, et 32 % des jeunes installés. En agriculture, comme dans beaucoup d’autres milieux, il y a des efforts à faire autour de la représentation des femmes. Par ailleurs, selon les enquêtes réalisées sur les installations aidées, on estime que
les « hors cadre familial » représentent environ 30 %
des installations.
Cliché numéro 6 : Tu n’es jamais content !
Marc : Bon, c’est vrai qu’on ne dit jamais qu’une récolte va être bonne, ça porte la poisse ! Mais sinon, on a des galères en agriculture comme dans d’autres métiers, mais on ne passe pas notre temps à se plaindre !
Hervé : Le côté « jamais content » n’est pas spécifique au milieu agricole, mais plutôt à l’entrepreneuriat familial, où l’on peut avoir tendance à raisonner en vase clos : on peut trouver ce caractère un peu « ronchon » aussi chez les artisans, les commerçants… Quand ils sortent de leur milieu, quand ils rencontrent d’autres publics et parlent librement, les agriculteurs évoquent des hauts et des bas dans leur activité, mais aussi et surtout l’amour de leur métier. C’est ce genre de rencontres, de brassage avec d’autres publics, que nous organisons avec l’Association agriculteurs de Bretagne :
par exemple au festival des Vieilles charrues, au départ de la route du Rhum, ou lors de la tournée d’été.
Cliché numéro 7 : Tu devrais te mettre au bio
Marc : J’ai des collègues en grandes cultures qui sont passés au bio et qui en reviennent. Parce qu’en bio, les rendements peuvent être divisés par deux ou par trois, et la rémunération ne suit pas. L’agriculture bio est plus facile à pratiquer si l’exploitation dispose d’un élevage, car l’une des grandes limites, c’est l’apport d’azote. Au passage, on se rend compte que l’élevage, pourtant « écologiquement critiqué », est indispensable ! Par ailleurs, le bio, lorsqu’il pratique le labour pour gérer les adventices, n’est pas bon au niveau des émissions de GES.
Hervé : Il y a une minorité de gens qui ont décidé que seule l’agriculture bio était valable et qui veulent l’opposer à l’« agriculture de tous les jours ». L’alimentation devient une thématique politique. En réalité, on a besoin de toutes les agricultures pour nous nourrir. Et la plupart des citoyens ont la limite de leur portefeuille : d’ailleurs, on le constate aujourd’hui, il est possible que le bio ait atteint sa limite.